[Réflexions] De la nouveauté, du poids des règles, du plaisir ludique

Je pratique le jeu de société, comme j’aime à le qualifier de « moderne », depuis 1998 environ. A cette époque-là, j’ai basculé dans cet univers en découvrant avec un plaisir immense Méditerranée de Dominique Ehrard. Les parties se sont enchaînées, l’approfondissement des techniques de jeu s’est décuplé et le plaisir ludique était là et bien là.
Ce fut la même chose, pas si longtemps après, avec Java de Wolfgang Kramer et Michael Kiesling, puis Euphrat & Tigris de Reiner Knizia . Puis Carcassonne. Puis Age of Steam. Puis, puis, puis…
Aujourd’hui, à la tête d’une ludothèque de 1000 jeux environ, je m’aperçois que :
1/ Mes incontournables n’ont pas évolué tant que ça et je prends toujours autant de plaisir dessus
2/ Les nouveautés sont de plus en plus nombreuses et on y revient de moins en moins souvent
3/ J’ai finalement moins de temps qu’auparavant pour pratiquer ma passion, même si ce n’est pas l’envie qui manque.

Du coup, après analyse de ces quelques dix dernières années de jeux, j’en viens à me rendre compte que j’ai de plus en plus de mal à me lancer dans une règle ambitieuse, remplie de petits points à ne pas oublier, surtout que, cerise sur le gâteau, je ne suis jamais sûr que ce temps initial consacré sera amorti par un nombre de parties suffisants pour voir la substantifique moelle de ces jeux.

Pour exemple, je commencerais avec le nouveau Wallace, le fameux Waterloo, prévu pour deux joueurs, une sorte de wargame très alléchant, surtout créé par le prince de Manchester. On ouvre la boîte, on admire le matériel, on a une irrésistible envie de se lancer dedans et on ouvre alors le livret de règles.Et là, c’est le drame ! Avec ces 16 pages de règles bien denses, sans compter l’aide de jeu extrêmement complète, Waterloo me fait peur. Oui, il me fait peur car je crains de ne pas pouvoir me motiver suffisamment pour me lancer corps et âme dans une règle qui nécessitera des heures pour être bien assimilée. Certes, l’auteur m’attire, le matériel me plaît, l’idée que
c’est l’adversaire qui sait combien vous jouerez d’actions mais pas vous est absolument géniale, mais…
Mais oui, cela fait peur. En effet, je le sais par avance : est-ce que le plaisir ludique que je ressentirai alors sera au niveau de l’investissement requis ? Est-ce que le plaisir ludique
sera supérieur à celui que je ressens sur un Euphrat & Tigris par exemple ? Est-ce que je ne vais pas être plus fatigué par la partie jouée que séduit ? Tant de questions qui me font
douter.

 

Deuxième exemple : Small World de Philippe Keyaerts. Reçue il y a quelques semaines, la boîte de Days of Wonder attend sagement sur l’étagère des jeux à découvrir. Et je ne parviens pas non plus à me lancer dedans. Pourquoi ? Au moins deux raisons, une bonne et une mauvaise (ou pas).La bonne, c’est que j’apprécie beaucoup Vinci et que je suis un peu sur la défensive avec cette version qui semble (d’après ce que j’ai pu lire) plus abordable, plus rapide, plus variée et plus familiale en somme. Vais-je me lancer dans le décortiquage de sa règle, alors que l’original ne souffre d’aucun défaut rédhibitoire pour moi ?
La mauvaise raison, ou en tout cas celle qui ne paraîtra pas la plus objective, est que je ne suis pas un grand fan des jeux médiévaux-fantastiques, surtout lorsque ce thème est utilisé de manière semi-caricaturale, avec des pouvoirs peu réalistes et un univers au final plus dans la parodie et la grosse baston que dans la fantasy pure.Du coup, vais-je me lancer raisonnablement dans une lecture de règles et des parties sur un jeu qui ne m’attire pas plus que ça ? Alors que je joue moins qu’avant, n’ai-je pas un jeu plus assuré de me plaire à proposer ?

 

Troisième exemple : Confucius d’Alan Paull. Oui, le jeu a bien été acheté par mes soins à Essen. Oui, l’auteur m’a enthousiasmé en me parlant de son bébé. Oui, l’avis des autres joueurs sur le net semble indiquer que le jeu est de grande qualité.absolument géniale, mais…
Mais, malgré tous ces indicateurs au vert, je n’ai pas encore réussi à vraiment me lancer dans une partie. Et pourtant, sur ce coup, j’ai bien potassé la règle ! Alors ? Et bien, cette
fois, c’est la règle en elle-même qui me pose un vraie problème : je ne la comprends pas !
Sans blague, je ne parviens pas à intégrer les mécanismes et comme je ne suis pas du tout fan des parties en solo pour voir, je laisse la boîte prendre la poussière…

Vous allez penser, certainement, que j’ai trop de jeux, que je ferais bien de faire un grand tri, de ne pas forcément courir à la nouveauté, etc, etc… Vous auriez raison, ou tout au moins pas complètement tort. Je m’explique.
En découvrant Livingstone, il y a quelques jours, j’ai pris beaucoup de plaisir car le jeu est rapide sans être stupide, suffisamment long pour qu’on ait le temps de rentrer dans un système ludique, et la règle, surtout, est ultra-rapide à comprendre, sans 300 cas particuliers à traiter.

De même, en pratiquant Keltis, je ressens un grand plaisir ludique immédiat. Son extension, reçue récemment, attend elle aussi de sortir de sa boîte, mais cela ne saurait tarder,
tout comme Bonnie & Clyde sortie chez Abacus et reçue il y a quelques semaines.
Là encore, pour ces deux jeux, on a affaire à des produits qui ne requièrent pas un temps de fou pour se lancer dans une partie. De même, le plaisir sera au rendez-vous, très probablement, et en tout cas, s’il ne l’est pas, on n’aura pas le sentiment d’avoir investi des heures et des heures pour pas grand chose finalement.

Enfin, et c’est par là que je voudrais terminer, je suis toujours autant surexcité (dans le bon sens du terme), à chaque fois que je me lance dans une partie d’un de mes incontournables. Même si ceux-ci ont des règles de plus de 10 pages. Et oui, le truc, c’est que je n’ai pas à me taper des pages et des pages, pour un plaisir aléatoire. Ici, avec ces jeux pratiqués et repratiqués, je suis garanti d’obtenir une sensible satisfaction ludique. Ce que je suis venu y chercher. Du coup, c’est tout bénef’ : pas de règle à lire et plaisir assuré. Et on joue plus rapidement. On s’améliore aussi, au fil des parties. Et pour mes amis ludophiles, je suis bien persuadé qu’ils apprécient de rejouer à des jeux aimés. Bref, nickel !

C’est donc bien dans cet esprit-là que je souhaite poursuivre mon aventure ludique : 

Pratiquer jusqu’à l’épuisement les gros jeux que je connais déjà, découvrir des jeux plus modestes (intermédiaires) et, au cas par cas, opter ou
non pour le décortiquage d’une règle de jeu plus touffue
.Je le sais pertinemment depuis des années, je tente de me caler sur cet axe, mais, souvent, j’en sors… En tout cas, de l’écrire comme cela et de mieux l’analyser m’a permis de, peut-être, mieux m’en convaincre…

7 commentaires à propos de “[Réflexions] De la nouveauté, du poids des règles, du plaisir ludique”

  1. Une alternative serait d’accepter de commencer à jouer à des jeux dont tu ne connais pas la règle. Je le fais souvent dans mon club (Jeux en Société, à Grenoble, je crois que tu y es passé il y a quelques années), et cela marche plutôt bien. Pour certains jeux, comme Le Havre, je trouve que ne pas connaître la règle handicape sérieusement, mais pour beaucoup d’autres ce n’est pas si grave. C’est d’ailleurs un des aspects des jeux de société que j’apprécie le plus: pour beaucoup d’entre eux, on peut mettre autour d’une table débutant et expert, et tout le monde s’amusera.

    Et en ce qui concerne Confucius, essaye au moins une fois. Je trouve que la mécanique des cadeaux est vraiment géniale. Je n’y ai joué qu’une fois, mais j’y rejouerai avec plaisir quand il ressortira. 

  2. Peut-être est ce ton esprit qui est saturé !!
    Je n’ai pas autant d’expérience ludique que toi, et bien moins de jeu, mais je pense que le rythme de ta vie conjugué aux nombreuses sorties de jeux te perturbent voire te fatigue comme tu le dis si bien.
    Attends de « récupérer » un peu et sorts tes « classiques » qui sont tous d’excellents jeux.
    Le principal après tout c’est de prendre du plaisir entre ami devant un bon jeu.

    dalain

  3. Je suis d’accord avec toi pour dire que nous sommes submergés par des nouveautés ludiques et que nous ne savons plus quoi choisir. Pour ma part je trouve de plus en plus difficle d’identifier une perle ludique originale autre que les « blockbusters » encensés par des milliers de joueurs.

    Je ne suis pas un grand fan de Smallworld mais je vais quand même prendre sa défense. Les règles ne sont pas compliquées et sont limpides. La seule complexité provient de quelques pouvoirs dans des cas particuliers. Une relecture rapide suffit à résoudre le problème. Autre point fort il s’explique aux joueurs débutants en 5 minutes (tant qu’on se s’enfonce pas dans le descriptif inutile race/pouvoir)

    En conclusion, la valeur ajoutée de Smallworld dans ma ludothèque est que c’est un jeu où on se tape dessus à la risk avec des règles simples et efficaces. Et la réflexion y est présente.
     

  4. Il y aurait beaucoup à dire, tant ce que tu exposes correspond à la réalité de tous les ludopathes qui ont « quasiment » des crédits illimités pour acheter des jeux mais du temps et une energie en quantité plus limitée pour y jouer. Aussi, comme tu le soulignes, il arrive de se demander si l’énergie dépensée sera à la hauteur du plaisir ludique –  et ceci est malheureusement chronique pour les jeux de Martin Wallace dont je suis aussi un fan… Je ne sais vraiment pas quand je pourrais jouer a After the Food !
    Pour ma part, j’en suis venu à me forcer à équilibrer mes soirées ludiques entre les valeurs sures et les nouveautés. Mais ce n’est pas évident et demande de se limiter de toute façon dans l’achat de nouveaux jeux (et d’être trés attentif au risque de doublon voire, au sacrilège de vendre des jeux qui ne sont pas simplement pas exceptionnels). Ce n’est pas évident du tout, surtout quand on va a Essen une fois par an ;o)

  5. J’en suis venu au même conclusion dernièrement. Et je n’ai que le cinquième de ta collection et de ton expérience.

    J’ai beaucoup (trop) acheté dernièrement et ce sont les bons jeux qui paient pour cela. Plus le temps de ressortir ceux que l’on a aimé!

    Par contre j’ai acheté du jeu un peu plus léger, car je veux plus prendre du plaisir avec la famille en me cassant un peu moins la tête. 

    Et avec les joueurs… pourquoi ne pas ressortir ce que l’on possède déjà? Automobile, After the flood et autres perles ludiques vont attendre avant de se retrouver dans ma ludothèque. Malheureusement? Peut-être! 

  6. D’accord à 200% avec toi!

    N’ayant pour partenaire de jeux que mon fils de 8 ans et plus rarement des joueurs occasionnels, j’ai vite optimisé ma bibliothèque vers des jeux « expliquables en 1 minute chrono » : au delà, les baillements commencent. Revers de la médaille: je me surprends moi-même à soupirer lorsque je découvre une règle de jeu de plus d’une page…

    Dans mes critères d’appréciation d’un jeu (à commencer par ceux que je crée) figure en 1ère place la simplicité des règles et du matériel.  Cela n’exclut nullement une richesse tactique ou stratégique, comme en témoigne la dernière perle en date de ma collection: « Palago ».

  7. La collectionnite, ce n’est pas bon à la santé. J’ai pour l’instant une quarantaine de jeux. Ceux que je ne sors pas de la ludothèque sont revendus dans l’année qui suit. Fondamentalement, ça ne sert à rien de « posséder » des jeux. Il faut y jouer. Avoir des boites non ouvertes sur les étagères, c’est une chose à laquelle je ne peux pas me résoudre, c’est inutile.
    On ne peut pas critiquer la société de consommation (ce que, je crois, beaucoup de joueurs font car ils ne trouvent pas Caylus chez Leclerc) et verser dans ce fanatisme de la boiboite en carton.

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